"Le discours qui pousse à la division est insupportable"
Dans un entretien au quotidien Libération, François Chérèque
regrette la volonté de mainmise politique sur le 1er Mai, récuse les
accusations à l'encontre des organisations syndicales et évoque la
méthode proposée par la CFDT pour aborder les sujets de
l'après-présidentielle.
Le 1er mai
tombe cette année entre les deux tours de la présidentielle.
Appelez-vous à la mobilisation, alors que ce rendez-vous peut prendre
une tournure très politique ?
Il
y a deux mois encore, ce risque aurait pu nous faire hésiter. Mais,
depuis les dernières provocations du chef de l’Etat sur le «vrai»
travail, la mobilisation m’apparaît toute naturelle. Et la CFDT, avec
ses partenaires de l’intersyndicale, appelle clairement les salariés à
se retrouver pour ce 1er mai. C’est aussi l’occasion d’interpeller les deux finalistes de l’élection sur la question de l’emploi.
Le président-candidat n’aurait pas le droit d’organiser un rassemblement le 1er mai sur le thème du travail ?
Cette fête a pour origine, à la fin du XIXe siècle,
une victoire syndicale aux Etats-Unis pour la journée de travail de
8 heures. Depuis, elle a été sacralisée, dans le monde entier, afin
d’évoquer les revendications des travailleurs. Or, chaque fois qu’il y a
eu dans l’histoire une mainmise du politique sur cette fête, c’était
dans un contexte de dérive antidémocratique. Qu’il s’agisse des anciens
pays du bloc communiste, avec une confusion entre les partis au pouvoir
et les syndicats, où encore en France, sous l’Occupation. Ce n’est pas
pour rien, d’ailleurs, que le Front national a fait du 1er mai
sa journée symbolique. Le fait qu’un des deux finalistes à la
présidentielle entre dans cette logique est donc une grande source
d’inquiétude, pour la CFDT, sur l’évolution de notre démocratie.
Comment comprenez-vous la notion de «vrai travail» ?
Que
certains, notamment les fonctionnaires, feraient un faux travail. Mais
l’infirmière qui embauche à 21 heures et finit le lendemain à
7 heures, qui soigne aux urgences le SDF qui, lui, n’a pas d’emploi
parce que la société n’est pas capable de lui en donner, qui s’occupe du
fou qu’on lui demande d’enfermer, car la société ne veut plus le voir,
cette femme-là, comme des millions de fonctionnaires, ne serait pas
une vraie travailleuse ? Ce type de discours, qui pousse à la division,
est devenu insupportable.
Le Président n’est pas tendre non plus avec les syndicats…
Depuis
le début de la campagne, Nicolas Sarkozy a choisi de fustiger les
organisations syndicales, qui seraient, selon lui, la cause de tous les
maux de la société et un frein à la réforme de notre pays.
Sous-entendu, «le responsable, ce n’est pas moi, mais eux».
C’est oublier un peu vite les positions de la CFDT dans l’histoire
récente. Notre organisation, rappelons-le, n’a jamais hésité à
s’engager, à soutenir des mesures, quand nous estimions qu’elles étaient
justes. Je pense à la réforme Juppé sur la protection sociale en 1995,
ou encore à la réforme Fillon sur les retraites en 2003. Il y a
également la volonté, en stigmatisant les organisations syndicales et
leurs permanents, de récupérer des votes à l’extrême droite. Ce qui est,
à notre avis, une faute morale, mais aussi une vraie erreur. La CFDT,
ce n’est pas que des permanents, ce sont aussi des millions de salariés
qui votent pour des militants syndicaux dans les entreprises et les
administrations. Il s’agit d’une organisation de masse, avec une
légitimité issue des élections professionnelles. Et, depuis le début de
cette séquence antisyndicale, ce que nous entendons remonter du
terrain, c’est un profond sentiment d’humiliation vécu par de nombreux
militants et sympathisants.
Un sondage considère pourtant que 12% des proches de la CFDT ont voté pour Sarkozy au premier tour…
C’est
donc bien qu’en insultant les dirigeants syndicaux il insulte aussi
les sympathisants cédétistes qui ont voté pour lui. C’est un manque
total de respect pour ses propres électeurs.
Il n’y a qu’en France, selon Sarkozy, que les syndicats font de la politique…
C’est
méconnaître l’histoire sociale. Dans de nombreux pays, les syndicats
sont liés à des partis politiques. En France, c’est l’inverse : la
charte d’Amiens de 1906 a instauré l’indépendance du mouvement syndical
par rapport au politique, même si, parfois, il y a eu des entorses.
Quand on a été président de la République pendant cinq ans, on doit le
savoir. A moins qu’il ne s’agisse encore d’une volonté de nuire.
Pensez-vous pouvoir retrouver une relation normale avec l’Elysée si Nicolas Sarkozy est réélu ?
Je
n’ai pas souvenir d’une telle agressivité vis-à-vis des organisations
syndicales, fondée qui plus est sur de faux constats. La confiance sera
donc difficile à restaurer.
Appellerez-vous, comme la CGT, à battre le président sortant ?
Ce
serait une erreur. Les travailleurs n’attendent pas des syndicats une
consigne de vote. La CFDT est pour l’émancipation des salariés, ce
n’est pas pour leur tenir la main dans l’isoloir. C’est aussi une façon
de respecter la diversité des opinions. Par ailleurs, se retrouver,
après le scrutin, face à un élu que l’on aurait appelé à sanctionner
dans les urnes, c’est mettre le syndicalisme dans une situation
difficile. C’est aussi se placer, dans le cas inverse, dans une position
de soumission par rapport à l’élu que l’on aurait soutenu. La
situation sociale à venir sera difficile ; quel que soit le futur
président, la CFDT doit garder sa capacité d’action intacte.
Comment envisagez-vous la situation sociale après la présidentielle ?
Beaucoup
d’équipes de terrain s’attendent à de nouveaux plans sociaux après les
élections. En Franche-Comté, par exemple, le chômage partiel se situe
au même niveau que pendant la crise de 2009. Le chômage ne cesse de
progresser, la croissance s’annonce poussive et la question de
l’endettement public n’est pas réglée : tout laisse à penser que les
mois à venir seront difficiles, quel que soit le vainqueur du scrutin.
Il n’y aura pas d’état de grâce.
Le président de la République a néanmoins prouvé qu’il était possible de sauver des entreprises…
Tant
mieux pour les salariés qui en ont profité lors de la campagne
électorale. Mais faire croire qu’un responsable politique a la
possibilité, par un claquement de doigts, de sauver l’ensemble des
entreprises en difficulté, c’est donner un faux espoir à des milliers
d’autres salariés qui sont dans la même situation.
Quelles solutions, alors ?
Il
faut aller vers une relance collective de l’économie au niveau
européen. Car, si la maîtrise des finances publiques est nécessaire,
l’austérité ne contribuera pas, en elle-même, à la croissance. Il faut
donc mener une vraie politique d’investissement, de recherche, de
formation qualifiante, et ne pas avoir peur d’un débat sur le coût du
travail. Il faut également aborder très vite ce qui intéresse les
salariés : l’emploi, le pouvoir d’achat, les conditions de travail.
Comment y parvenir ?
La
méthode sera déterminante pour être efficace. La CFDT propose que, dès
le mois de mai, on suive une démarche axée sur trois points. D’abord,
définir les thèmes relevant exclusivement de la négociation entre
partenaires sociaux : réforme des institutions représentatives du
personnel, répartition de la valeur ajoutée, accords
compétitivité-emploi, conditions de travail, sécurisation des parcours
professionnels… Le tout avec un calendrier et une date butoir imposés
par l’exécutif, afin d’éviter que certains, comme le Medef, jouent la
montre pour les enliser. Ensuite, il s’agit de définir les sujets
communs aux partenaires sociaux et au gouvernement, comme la protection
sociale, la question des revenus (Smic, allégement de charges, coûts du
logement…). Enfin, avec l’ensemble de la société civile, il faut
organiser un Grenelle contre la pauvreté. Si on est en mesure d’établir
cet agenda, il y a alors moyen de normaliser et de pacifier les
relations sociales dans notre pays.
Propos recueillis par Aurore Hennion et Luc Peillon
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