[Interview] “Mon camp, c’est celui des salariés et des chômeurs”

Dans un long entretien accordé à Paris Match, Laurent Berger fait, sans langue de bois, le tour des très nombreux sujets de cette rentrée sociale.
Dans quel état d’esprit êtes-vous alors que se multiplient les sujets de friction sur le front social ?


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Je ne peux être qu’inquiet car la situation sociale est très dure : 5 millions de chômeurs, des inégalités qui se creusent, la pauvreté qui s’accentue. D’autant qu’il n’y a guère d’embellie sur le front économique. La CFDT n’est ni dans le déni des difficultés, ni dans la résignation.  


À Matignon, on vous considère comme un allié inconditionnel. Qu’en dites-vous ?

Mon camp, c’est celui des salariés et des chômeurs. La CFDT a une cohérence forte et une haute conception de la démocratie. Nous avons le choix entre une société très radicalisée, autoritaire où on rechercherait les coupables, et une société plus apaisée, coopérative, fondée sur le dialogue où un projet collectif émergerait, celle que nous défendons. Alors que certaines organisations nient l’intérêt général, jouent sur des postures, il est important que d’autres restent solides et pertinentes. Nous ne sommes pas un allié inconditionnel du gouvernement. Un allié inconditionnel critiquerait-il la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu ? Serait-il monté au créneau sur le recul du plan pauvreté qui était envisagé? Dénoncerait-il le gel des salaires des fonctionnaires ?

“Si la compétitivité était liée à l’obligation d’élire
un délégué du personnel à partir du 11e salarié,
ça se saurait !”


Le Premier ministre affirme qu’il ne cédera ni sur le travail du dimanche ni sur l’assouplissement des seuils sociaux. Jusqu’où êtes-vous prêt à aller ?


Le travail du dimanche ne doit pas être généralisé et doit reposer sur le volontariat. Pour le commerce, si il y a un intérêt économique dans des zones géographiques précises, nous ne sommes pas contre des ouvertures certains dimanches, à fixer par accord. Mais il faut des contreparties notamment salariales pour tous les salariés, ceux des magasins, des sous-traitants, des très petites entreprises. Par ailleurs, je suis agacé que patronat et gouvernement présentent la négociation qui s’ouvre sur la modernisation du dialogue social sous le seul angle des seuils sociaux. Ils les agitent comme un totem. Si la compétitivité était liée à l’obligation d’élire un délégué du personnel à partir du 11e salarié, ça se saurait ! L’enjeu, c’est d’instaurer un dialogue social de qualité : cela pourrait rapporter, selon le rapport Gallois, jusqu’à 1,5 point de PIB. Regardez les entreprises qui s’en sortent, comme Renault qui embauche à nouveau, Orange ou Fleury Michon, elles pratiquent toutes ce dialogue social. Le dialogue est-il considéré comme un atout ou comme une épine dans le pied ? Si le patronat ne fait pas sa révolution culturelle, il n’y aura pas de négociation possible sur ces sujets. Nous voulons que tous les salariés aient une représentation collective, que les procédures de consultation soient plus efficaces pour améliorer le dialogue et que le parcours des militants soit valorisé.

Le Medef parle, lui, de 50 000 à 150 000 emplois créés en réformant les seuils…

Aucune étude ne le démontre. Le Medef me laisse perplexe, car il a une calculette qui fonctionne quand on revient sur des acquis sociaux. En revanche, quand on attribue des aides aux entreprises, il est incapable de dire combien d’emplois seraient créés. Est-ce un Medef de dialogue social ou un Medef provocateur et dogmatique qui ne sert pas les entreprises ?

Jugez-vous que le gouvernement avec son pacte a donné 40 milliards aux entreprises sans contrepartie ?

Non, c’est encore timide, mais des branches négocient sur l’utilisation de ces aides. Je ne peux pas accepter que certains considèrent qu’il faut de la transparence sur l’utilisation de l’argent public et, en même temps, ne veulent pas de cette transparence quand il est question d'aides aux entreprises. L’observatoire sur les aides aux entreprises qui sera installé par le Premier ministre mi-octobre, permettra de vérifier quelles branches  se sont engagées. Si certaines ne jouent pas le jeu, il appartiendra aux parlementaires et au gouvernement de décider s’il convient de leur accorder des aides pour 2016 et 2017.

Le gouvernement prévoit des coupes sombres dans son prochain budget.
Est-ce un mal nécessaire selon vous ?


Nous sommes pour la réduction du déficit public pour retrouver des marges de manœuvre et des possibilités d’investissement. Cela ne peut pas se faire sur le dos des fonctionnaires. Il y en assez de les considérer comme des boulets, comme des coûts. Le service public est réformable par le dialogue. Il faut davantage écouter et respecter les fonctionnaires. Jusqu’à présent, seule une logique comptable a présidé aux décisions, jamais l’organisation du travail n’a été considérée. Si on agit sans donner de vision, alors on oublie le sens, et les gens ne comprennent plus, se détournent du fait politique et de l’intérêt collectif. C’est très dangereux. 

“Sur la fiscalité il n’y a que du bricolage permanent.”


C’est pour cela que vous vous opposez à la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu ?

Comment le gouvernement va-t-il compenser ces 3 milliards d’euros ? Si c’est au détriment du plan pauvreté, c’est hors de question pour la CFDT. Sur la fiscalité, il n’y a que du bricolage permanent. Voilà qui explique pourquoi les Français qui n’y comprennent plus rien, ne consentent plus à l’impôt qui est la condition du vivre ensemble. Cela fragilise la cohésion sociale. Le court-terme l’emporte trop souvent sur la réflexion, la posture sur la recherche de compromis et cela profite aux extrêmes. Notre société a besoin d’apaisement et d’empathie, d’autant qu’elle est soumise à des tentations réactionnaires, qui font monter l’intolérance.

Dans le conflit d’Air France, on vous accuse d’avoir radicalisé les pilotes,
en qualifiant leur grève d’indécente…


C’était une grève pour rien qui met Air France en danger. C’était une revendication corporatiste des pilotes rien que pour les pilotes. Je soutiens les salariés d’Air France, notamment les personnels au sol, qui ont été très choqués par ce qu’il s’est passé.

Médecins, dentistes, kinés, notaires, avocats ont fermé leurs cabinets
le 30 septembre pour protester contre la réforme des professions réglementées. Comment qualifiez-vous ce mouvement ?


Nous ne sommes pas sans inquiétude pour les salariés de ces secteurs, mais nous ne connaissons pas le contenu de la réforme. C’est une action préventive menée par des patrons qui considèrent sans doute que notre pays doit être réformé, mais pas leur profession.

Comment jugez-vous les propositions de Pierre Gattaz, notamment celle sur les 35 heures ?

Les 35 heures, c’est la durée légale. Je n’entends pas beaucoup de chefs d’entreprises demander de relever cette durée. Discutons plutôt sur l’organisation du travail dans les entreprises. Je crois que le Medef est soumis à des influences différentes en son sein, je l’appelle à rester à la table du dialogue social.

Que pensez-vous du «J’aime les entreprises» prononcé par Manuel Valls devant le Medef ?

Moi, j'aime les entreprises responsables. Celles qui respectent leurs salariés et sont soucieuses de la qualité du dialogue social et de leur écosystème. La question n’est pas de mépriser les entreprises. Que des socialistes à La Rochelle aient pu siffler ce mot m’a abasourdi. Siffler les entreprises, c’est siffler les salariés.

Propos recueillis par Anne-Sophie Lechevallier

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