[Interview] “Qui peut avoir peur de consulter les salariés  ? Pas la CFDT”

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Dans un long entretien accordé aux Echos du 10 février 2016, Laurent Berger fait le point sur les sujets sociaux du moment et expose la position de la CFDT sur l'idée de valider les accords d’entreprise par référendum.

La CFDT va-t-elle signer la « position commune » sur le compte personnel d’activité ?


Le bureau national se positionnera en début de semaine prochaine. Nous avions quatre objectifs : garantir l’universalité des droits, intégrer tous les comptes existant - dont le compte pénibilité -, avoir une portabilité des congés et prévoir un accompagnement car un droit nouveau sans accompagnement n’a pas beaucoup d’intérêt. La « position commune » répond à ces enjeux. On aurait pu souhaiter un texte plus ambitieux mais c’est un point d’appui. Et rien n’empêche le gouvernement de l’enrichir en plus de concrétiser les engagements qu’il a pris d’abonder le CPA pour les jeunes sortis sans qualification du système scolaire et de traiter de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Se pose aussi la question du financement du compte pour les indépendants et pour les fonctionnaires pour qui il n’est pas question de prévoir un système à part.

Comment jugez-vous l’état du dialogue social ?


Force est de constater que les acteurs - syndicats, patronat, gouvernement - ne jouent pas tous le jeu. Une partie du Medef est violemment hostile au dialogue social et cela empêche d’avancer. Il faut remonter loin en arrière pour retrouver un tel climat au sein du patronat ! Les progressistes en son sein doivent mener un combat pour affirmer la nécessité d’un vrai dialogue économique et social avec les syndicats. Côté syndicats, aucun acteur majeur autre que la CFDT et la CFTC ne considère que le dialogue social est la voie pour avancer. Je constate qu’en Allemagne, patronat et syndicats ont une constance sur le sujet. Chez nous, ce n’est pas le cas. Quant au gouvernement, il n’affiche pas une volonté pleine et entière de dialogue social non plus. J’en veux pour preuve sa manière de pointer le sujet de la dégressivité des allocations chômage alors même que la négociation débute et que les partenaires sociaux n’en veulent pas... Le gouvernement aurait mieux à faire que de se mobiliser sur des sujets stériles comme la déchéance de nationalité...

Le patronat affirme que c’est lui qui est réaliste…


Il fait croire que les difficultés économiques sont liées à la protection des salariés et au niveau d’indemnisation des chômeurs. Conclusion : il faudrait moins de contraintes, moins de coûts, moins de règles. C’est un discours simpliste. Baisser les droits des travailleurs n’offre pas une vision, c’est une option de courte vue. Le Medef n’essaie pas de comprendre l’économie de demain. Il n’a pas de pensée sur l’entreprise, ne réfléchit pas à sa gouvernance.

Vous semblez bien pessimiste sur vos interlocuteurs. Pourquoi vous accrocher alors au dialogue social ?


D’abord la CFDT n’est pas seule. Nous nous retrouvons avec la CFTC, l’Unsa et parfois, la CGC. Ensuite, il n’est pas question pour nous de changer notre fusil d’épaule car la négociation produit des résultats positifs pour les salariés. Mais pour cela, les syndicats doivent regarder la réalité en face, s’engager dans les négociations et être en proximité avec les salariés, ce que fait la CFDT.

Notre problème n’est pas de changer notre conception du syndicalisme, mais de faire savoir qu’il existe et produit des résultats. On a créé depuis 2008 de nouveaux dispositifs assurant à la fois la sécurité pour les salariés et la souplesse pour les entreprises, comme la rupture conventionnelle du CDI ou la négociation des plans sociaux. Cela marche.
Maintenant il faut absolument parler stratégie, instaurer un véritable dialogue économique et social dans les entreprises. Celles qui jouent ce jeu sont plus performantes mais le patronat n’a pas le courage de partager un peu son pouvoir.

La lutte contre le chômage étant une échec collectif, quelle est la part de responsabilité des syndicats ?


Nous pouvons sans doute faire plus pour l’accès à l’emploi de ceux qui en sont exclus, en particulier les jeunes. Par exemple, sur l’apprentissage, nous pouvons davantage revendiquer d’embauches dans les entreprises. Mais la CFDT ne peut pas être accusée d’avoir entretenu la frontière entre insiders et outsiders, au contraire.

Vous êtes très critique sur le pacte de responsabilité. Ne regrettez-vous pas de l’avoir soutenu ?


Le pacte devait servir l’investissement économique et social mais il souffre d’un problème de loyauté dans son application. Certaines branches patronales ont fait preuve d’un cynisme total. Nous avons demandé qu’en cas de non respect du pacte, les aides versées soient revues. Cela n’a pas été fait. C’est pourtant indispensable. Le gouvernement a encore la possibilité de dire qui a joué le jeu, qui a investi, qui a embauché des apprentis et d’en tirer les conséquences sur le prochain versement des aides en 2017.

La ministre du Travail veut faire valider les accords minoritaires par un référendum auprès des salariés. Qu'en pensez-vous  ?


La CFDT revendique l’accord majoritaire. Ce n’est donc pas notre idée mais nous sommes favorables à la consultation des salariés. Derrière cette idée, il y a la prise en compte d’une évolution fondamentale de la société. Nous vivons une crise de la représentativité et une crise de la démocratie qui imposent de changer nos modes de pensée.

Qui peut avoir peur de consulter les salariés ? Pas nous. C’est même une démarche utile pour re-légitimer les organisations syndicales. Nous devons prendre des risques. Lorsqu’un accord est validé par des syndicats représentant 30 % des salariés, je ne suis pas hostile à ce que l’on consulte les salariés au contraire. Mais cette proposition n’est acceptable qu’à la condition que la consultation ne soit pas une mesure au service des patrons. Il faut qu’elle ne puisse intervenir qu’à l’issue de la négociation et à la seule initiative des syndicats signataires.
Propos recueillis par Leïla de Comarmond, Derek Perrotte et Nicolas Barr

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