François Chérèque donne la parole aux salariés dans son dernier livre

Dans son livre "Patricia, Romain, Nabila et les autres – Le travail, entre souffrances et fierté", sorti le 31 août 201, François Chérèque a jugé utile de donner la parole aux salariés qu’il représente en tant que secrétaire général de la CFDT.
Pourquoi sortir maintenant un livre sur le travail ?
Le travail occupe une place très importante dans la vie des Français. Une place centrale même, dans leur émancipation et la construction de leur identité professionnelle. La preuve : lorsque l’on se présente, on indique presque toujours sa profession. De plus, c’est du travail que nous, syndicalistes, tirons notre légitimité. En tant que secrétaire général, je pense donc qu’il est naturel que je parle de ce qui constitue le cœur de l’action revendicative de la CFDT – comme l’a confirmé le congrès de Tours. Avec ce livre, je donne la parole aux salariés, c’est-à-dire à ceux que je représente et qui m’apportent ma légitimité à faire.
Mettre l’accent sur le travail alors que les Français ont peur de perdre leur emploi, est-ce vraiment le bon moment ?
En France, nous vivons avec un chômage de masse depuis plus de trente ans. Par conséquent, dans le cadre de notre action syndicale, nous avons plutôt tendance à parler de l’emploi (et de la lutte contre le chômage) et à faire passer au second plan le contenu du travail. Il est grand temps que l’on cesse de les opposer.
En effet, la pression morale « Ne te plains pas de ton travail parce que tu as la chance d’avoir un emploi » est devenue insupportable. Y compris pour les fonctionnaires, censés bénéficier de la garantie de l’emploi ; les suicides à France Télécom sont venus nous le rappeler d’une façon très rude. Le temps est venu d’affirmer que parler du travail est compatible avec la défense de l’emploi. Il faut sortir de la culpabilisation de ceux qui ont un emploi. C’est l’un des objectifs du livre.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué lors de ce voyage au cœur du travail ?
Ce qui me semble le plus marquant a été de réaliser que, quelles que soient les conditions de travail et les souffrances qu’elles peuvent entraîner, la fierté des salariés vis-à-vis de leur travail reste forte !
Ces rencontres m’ont confirmé qu’il est nécessaire de prendre en compte dans notre action la reconnaissance des identités professionnelles : dès qu’on leur donne la parole, les salariés deviennent intarissables à propos de leur travail. Il semble, selon des études européennes, que cette attente par rapport au travail est en grande partie spécifique à la France. Cela va naturellement de pair avec un fort besoin de reconnaissance.
Et comme cette dernière ne vient pas toujours, la déception n’en est que plus grande. C’est pourquoi les salariés français donnent parfois ­l’impression de vouloir fuir le travail vite, comme on l’a entendu dans de nombreuses expressions lors de la réforme des retraites.
Quel principal message veux-tu adresser aux salariés, mais aussi aux militants CFDT au moyen de ce livre ?
Il faut tout d’abord rappeler qu’au sein des entreprises les militants CFDT sont très investis quant à la question du travail – notamment au travers de leur action dans les CHSCT, qui permet de nombreuses avancées. Pour citer deux exemples détaillés dans mon livre : c’est grâce à l’action des militants CFDT que les conditions de travail s’améliorent dans l’abattoir que j’ai visité en Bretagne. Ce sont également des militants qui sont en première ligne pour écouter leurs collègues exprimer leur souffrance à Pôle emploi. Malheureusement, tout ce pan de l’action syndicale s’avère trop souvent méconnu. Les médias préfèrent traditionnellement mettre en avant les grands défilés syndicaux – qui, de ce point de vue, constituent en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt du syndicalisme de terrain. Nous-mêmes, nous sommes parfois trop discrets sur les avancées que nous obtenons.
La proximité avec les salariés est plus que jamais indispensable pour le syndicalisme, y compris aux yeux du secrétaire général de la CFDT : on ne peut changer que ce que l’on connaît. Quand je dis cela, je me situe dans la continuité de l’histoire de la CFDT et mon propre parcours militant : j’ai été à jamais marqué par le mouvement des infirmières en 1988, alors que j’étais encore dans mon établissement hospitalier. Organisées en coordination, les infirmières revendiquaient une meilleure reconnaissance de leur identité professionnelle et refusaient d’être associées aux syndicats, en nous disant : « Les syndicats parlent de l’hôpital, mais ne parlent pas de nous… » C’était déjà un des messages de mon premier livre, Réformiste et impatient ! : j’appelais à se réapproprier la question du travail. La résolution du congrès de Tours amplifie et prolonge cette dynamique, même si la crise et la lutte contre le chômage ont eu tendance à masquer cette action.
Mais comment la CFDT peut-elle répondre aux questionnements et aux attentes que font remonter les salariés en ce qui concerne le travail ? Quelle peut être notre revendication phare ?
Notre principale revendication doit s’articuler autour de l’écoute. Un certain nombre de personnes rencontrées au cours de l’écriture de ce livre m’ont confirmé que le simple fait d’avoir eu la possibilité de me parler de leur travail a été vécu comme une forme de reconnaissance. Cela signifie clairement que le droit à la parole quand il s’agit de s’exprimer au sujet de son travail (en bien ou en mal) sans pour autant risquer d’être jugé doit être au cœur de notre projet et de nos revendications. Il est indispensable de créer des lieux d’expression pour les salariés. Cela ne veut pas pour autant dire que c’est à nous d’organiser cette prise de parole, mais nous devons écouter ce qu’ils disent afin de construire nos revendications.
Propos recueillis par Nicolas Ballot et Henri Israël

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