Peut-on faire passer des messages de prévention par la romance ?
c'est en tout cas le défi qu'a voulu relever Michel Llory en écrivant son dernier roman, "une enquête explosive", qui retrace la rencontre de deux consultants en sécurité industrielle après une explosion mortelle dans une usine chimique.
C'est la rentrée littéraire ! Bon, nous arrivons un peu en retard puisque le livre que nous vous présentons ici est sorti... il y a un an. Cependant, il nous a semblé intéressant de nous attarder sur cet objet un peu étrange qui n'a pas fait beaucoup de bruit.
Le roman en quelques lignes
L'intrigue, brièvement, est très simple : une usine de pesticides, classée Seveso II du Languedoc explose faisant 11 morts. Le ministère commandite un cabinet d'expert pour enquêter sur cet accident. Deux consultants, un homme et femme, sont dépêchés sur place. On suit alors leurs péripéties pendant cette période si particulière. Sur fond de romance entre ces deux têtes pensantes qui se détestent cordialement, Michel Llory nous plonge dans tous ses univers : l'industrie, la sécurité, l'organisation sociale productiviste, les lagunes de l'Aude et la comédie humaine qui se joue dans les microcosmes du travail.Pourquoi une telle oeuvre ?
A cette question l'auteur répond en ces termes : "j'ai pensé depuis longtemps que la fiction pouvait être une alternative efficace pour toucher un plus large public et même nombre d'experts récalcitrants aux remises en cause sérieuses de la sécurité industrielle". Aussi après la publication de trois "ouvrages d'experts" - Accidents industriels : le coût du silence en 1996, L'accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island en 1999 et la contribution à l'ouvrage collectif L'accident et l'organisation (décembre 2010), l'auteur est revenu à l'élan de ses premiers écrits et a décidé de placer "la réalité des risques d'un accident industriel en plein coeur d'une fiction". Après tout, comme il le dit lui-même : l'enquête après une catastrophe s'apparente à une enquête policière mais dont les objectifs sont d'identifier les "causes profondes, cachées dans l'épaisseur touffue et complexe de l'organisation humaine, bien hiérarchisée, qui gère les risques et assure la production".L'avis de la rédaction
La lecture de ce roman ressemble à une plongée en eaux troubles - on attend parfois avec autant d'impatience que les personnages le dénouement de cette enquête éprouvante. L'atmosphère du roman est particulièrement sombre, glauque avec de réguliers avis de tempête. Dans l'usine, les hommes et les machines semblent parfois se fondre dans un système organique unique : entre la Bête Humaine de Zola et Alien !Chacun campe bien son rôle
Si parfois les personnages semblent caricaturaux, après coup on ne peut que se pincer et s'apercevoir que l'on ne rêve pas : on les a pourtant déjà croisés dans la vraie vie : du directeur arrogant et sûr de lui à l'ouvrier prêt à risquer sa vie pour maintenir la machine en marche. De nombreuses rencontres ponctuent l'histoire : un chef d'atelier particulièrement cynique qui se plie aux ordres de sa hiérarchie ou encore des ouvriers qui savent mais ont pris l'habitude de se taire. Et puis bien sûr, la mysoginie ordinaire du milieu industriel, le bruit, les odeurs jusqu'aux rejets dans l'environnement qui prennent la forme d'une "neige" qui pollue régulièrement landes et villages avoisinants.Une enquête chaotique
Les rapports houleux entre les deux experts et les réticences des différents acteurs de l'usine sont bien retracés. Avec son lot de surprises bonnes ou mauvaises qui font tour à tour s'enliser l'enquête ou lui redonner un coup de fouet. On ressent la patience, l'écoute dont il faut faire preuve pour dénicher une portion de vérité. L'histoire, ponctuée par les commentaires des deux consultants, permet de suivre cette reconstruction à rebours où il faut, comme pour une pelure d'oignon aller chercher le germe en faisant fi des apparences. Couche après couche, les deux personnages entrent dans la complexité de l'organisation sociale d'un lieu de production : loin de l'organigramme théorique, on entre-aperçoit alors l'organisation réelle, issue des enjeux de pouvoir, de séduction et de peur.Une romance à deux voix
Le roman se présente sous la forme de deux journaux intimes, ceux des deux experts, dont le récit se croise et se complète tout au long du livre. Une forme intéressante et dynamique qui cependant trouve parfois ses limites en apportant quelques longueurs répétitives : deux descriptions de l'atmosphère ou d'une scène au lieu d'une seule. Quant à la romance en elle-même, elle souffre aussi de redites mais réussit cependant à soutenir l'enquête et à fournir des rebondissements inattendus.| Michel Llory, ingénieur et romancier |
|---|
| Ingénieur-consultant, Michel Llory a travaillé plus de 25 ans au sein de du centre de recherches d'EDF il créera et animera durant 7 ans le département de recherches sur les grands risques, les accidents industriels et les causes humaines. En 1993, il quitte EDF pour créer son cabinet de consultant, l'ITH (Institut du travail humain). Il participe alors à de nombreuses recherches et officie quelques temps comme conseiller scientifique à l'INRS et à l'Ineris. Auteur d'un premier roman à succès en 1990, L'Expulsion, ou, Histoire du dernier berger de la vallée du Riuferrer, il a repris sa plume d'auteur plus sérieusement ces deux dernières années avec deux nouveaux romans : Le désordre des sentiments (2009) et Une enquête explosive (2010). Mais, on ne se défait pas de ces vieux démons aussi facilement, aussi il anime un groupe de réflexion sur la sécurité industrielle et la prévention des risques et des catastrophes, ironiquement baptisé CHAOS pour "Collectif Heuristique d'Analyse Organisationnelle de la Sécurité". En savoir plus : le site de Michel Llory |
Commentaires
Enregistrer un commentaire