"Je n'ai pas à m'excuser..."
Dans une interview accordée au Monde daté du 19 janvier 2013,
Laurent Berger renvient sur la signature par la CFDT de l'accord sur la
sécurisation de l'emploi.
L’accord
que la CFDT vient de décider de signer, est-il emblématique du
réformisme syndical que vous défendez, quand d’autres y voient du
social-libéralisme ?
Il y a
tellement de mots tabou que bientôt, on n’aura plus que 20 mots pour
parler du monde du travail et d’économie dans ce pays, cela commence à
me fatiguer ! Ce qui est important c’est la réalité vécue par les gens.
Les organisations syndicales ont la responsabilité de changer la vie des
salariés. Je n’ai pas à m’excuser de leur apporter du plus ni d’avoir
encadré la flexibilité dans les entreprises, qui aujourd’hui est à la
fois sauvage et omniprésente.
Au
minimum, l’accord est équilibré, moi je trouve qu'il est ambitieux ! Il
ne résulte pas d’un troc, mais marque une nouvelle articulation entre
l’économique et le social dans l’entreprise et sur le marché du travail.
En ce sens, il perturbe certains repères. Dans une période de crise,
les partenaires sociaux ont su se mettre d’accord sur un compromis
structurant à moyen terme. C’est nouveau pour le dialogue social.
L’accord
prévoit des mesures de flexibilité immédiate et renvoie les mesures de
sécurisation à plus tard. N’est-il pas de ce fait difficile à défendre ?
Mais
pas du tout. Les flexibilités dont vous parlez sont encadrées par des
accords majoritaires dans les entreprises ou par un renvoi à la
législation actuelle ou à l’administration. Les droits nouveaux pour les
salariés sont parfois renvoyés à la négociation, mais effectifs. Au 1er janvier 2016, tous les salariés auront une mutuelle payée par l’employeur au mois à 50 %. Les droits rechargeables pour les chômeurs sont aussi inscrits en tant que tels.
Le
fait que l’accord ait été salué à la fois par l’OCDE, par le Wall
Street journal, par le Financial Times, peut-être demain par la FMI,
n’est-ce pas parce qu’il fait la part trop belle à la flexibilité ?
La
flexibilité existe aujourd’hui : c’est du temps partiel imposé à
outrance sans organisation du travail, ce sont des contrats de précaires
à ne plus savoir qu’en faire. Le débat sur les accords de
compétitivité-emploi est surréaliste. Toutes les organisations
syndicales en ont signé dans les entreprises sans aucun cadre juridique.
Aujourd’hui que dit l’accord sur ce sujet ? Qu’il faudra une difficulté
conjoncturelle avérée, un diagnostic économique préalable, un accord
majoritaire à 50% qui ne pourra pas dépasser deux ans et demandera les
mêmes efforts aux patrons et aux actionnaires, il devra comporter une
clause de retour à meilleure fortune et maintenir l’emploi.
Certains
élus socialistes veulent à tout prix maintenir leur droit à amendements
lors de l’examen du projet de loi transcrivant l’accord. Comment les
choses vont-elles se passer ?
Je
souhaite que le contenu du projet de loi soit discuté avec les
signataires, puis avec les non signataires, avant d’être envoyé au
Conseil d’Etat. Le droit à amendements existe mais dans le respect du
texte et de son équilibre. Il existe des marges de discussion sur des
précisions utiles. Je pense notamment aux modalités de désignation des
représentants des personnels dans les conseils d’administration des
grandes entreprises. La reprise de sites rentables, que le patronat n’a
pas voulu négocier, doit être traitée, mais dans un autre texte.
L’annonce des 7 500 suppressions d’emploi chez Renault n’est-elle pas particulièrement mal tombée ?
Cette annonce est maladroite. Nous
sommes dans un long processus de négociation, qui va seulement entrer
dans le vif du sujet. Je fais confiance à l'équipe CFDT pour la mener à
bien et prendre la bonne décision.
Vous avez décidé de signer cet accord avec deux organisations minoritaires. N’allez-vous pas vous retrouver trop isolé ?
Seuls
ceux qui ne font rien, ne prennent pas de risque ! La CFDT n’est pas
isolée. Il existe un camp réformiste dont elle fait partie. Mais je
respecte la diversité syndicale et je ne veux pas creuser nos
divergences. J’ai d’ailleurs appelé Jean-Claude Mailly pour le prévenir
que nous nous engagerions sur l’accord.
La
CGT estime que cet accord contient « des reculs sociaux dictés par le
Medef ». Etes-vous en nouveau en rupture avec cette organisation ?
Il
y a clairement une bipolarisation du syndicalisme sur ce sujet. Rien ne
dit qu’elle sera durable, mais nous avons une conception
fondamentalement différente avec la CGT de l’articulation entre la loi
et la négociation. Ce n’est pas une surprise : pour nous opposer à
un projet, nous parvenons à agir ensemble, en revanche faire des
propositions communes et s'engager ensemble c'est plus difficile.
La surtaxation des CDD ne reste-t-elle pas trop marginale pour être dissuasive ?
Les
cotisations chômage des CDD de moins d’un mois vont augmenter de 75 % !
Près de 17 millions de contrats précaires vont être taxés plus
fortement, ce n’est pas du tout anecdotique. Elle va responsabiliser les
chefs d’entreprise, tout en finançant une incitation à l’embauche des
jeunes de moins de 26 ans en CDI.
L’élargissement
des mutuelles va encore laisser de côté les étudiants, les retraités et
les chômeurs de longue durée. N’est-ce pas dérangeant ?
Il
faut faire plus, mais ce n’est pas seulement la responsabilité des
partenaires sociaux, mais celle de l’Etat. Ne crachons pas sur le fait
qu’on ait fait progresser les droits des salariés au nom du fait qu’il
reste encore des progrès à faire pour d'autres.
La
CFDT est l’interlocuteur privilégié du gouvernement, François Chérèque
est parti diriger Terra Nova. Cette proximité avec le PS n’est-elle pas
problématique ?
La CFDT
n'est dans les mains de personne. Nous sommes l’interlocuteur privilégié
de ceux qui veulent parler. J’ai par ailleurs beaucoup de désaccords
avec le gouvernement, comme sur le jour de carence pour les
fonctionnaires ou le rétablissement de l’allocation équivalent retraite
François
est devenu inspecteur des affaires sociales parce qu’il avait des
compétences à faire valoir. Il se voit confier des missions parce qu’il
est au service de l’Etat, je ne vois pas où est le problème. Terra nova
est un engagement militant et il ne s’exprimera pas sur les questions
économiques et sociales pour ne pas me gêner.
François Chérèque voulait une réforme systémique des retraites. Vous êtes nettement plus prudent. Pourquoi ?
Ce n'est pas le cas, mais à chaque jour suffit sa peine. La négociation sur la qualité de vie au travail et l'égalité professionnelle est
la plus importante dans les semaines à venir. Sur les retraites,
attendons de voir ce que le gouvernement a en tête. Il faudra ensuite
réfléchir à une réforme d’ampleur.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Chastand, Claire Guélaud et Michel Noblecourt
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