"Le rapport pointe des inégalités dans les mécanismes de solidarité"
Jean Louis Malys, secrétaire national en charge du dossier, et
membre du Conseil d’orientation des retraites (Cor), répond à nos
questions et commente le rapport du Cor sorti le 22 janvier.
Quelles
sont les préconisations des deux rapports du Conseil d’orientation des
retraites (Cor) qui sont sortis en décembre et janvier ?
Les
dernières projections chiffrées datent de 2007. Le rapport de décembre
répond à un besoin d’actualisation de ces données. Tous les régimes ont
été revisités avec de nouvelles hypothèses. Celles-ci s’appuient sur les
évolutions démographiques et économiques et notamment sur un retour au
plein emploi d’ici dix à vingt ans. C’est une vision plutôt optimiste.
Elle montre que le problème du financement des retraites est structurel
et n’est pas lié uniquement à la crise, même si celle-ci l’aggrave. La
croissance démographique avec une augmentation de 50% de la population
retraitée d’ici 2040 impacte fortement les régimes. Le rapport prévoit
des besoins de financement s’élevant entre 20 et 25 milliards d’euros en
2020. Après 2020, l’écart entre les hypothèses optimistes et
pessimistes devient plus important : avec un déficit projeté de 17 à 53
milliards en 2030 et de 8 à 74 milliards en 2040. Cela montre à quel
point le système peut être sensible aux résultats économiques. Au-delà
de 2040, il s’agit de projections de long terme, très sensibles auxdeux
hypothèses les plus extrêmes. L’une, voulue par le patronat, repose sur
une croissance faible et un chômage élevé, l’autre, demandée par la CGT,
est très optimiste. La CFDT se situe sur les scénarios centraux qui
paraîssent plus vraisemblables.
Et le deuxième rapport publié en janvier ?
Il
est aussi important que le premier. Il répond à une demande de mise à
plat du système, voulue entre autres par la CFDT. Elle était prévue dans
la loi de 2010 et a été confirmé lors de la Conférence sociale de
juillet 2012. Ce rapport décrypte pour la première fois les règles
d’acquisition des droits, leurs effets, et les mécanismes de
solidarité : qui les paie ? qui en profite ? Cela va permettre de
connaître les catégories touchées par ces règles et mécanismes. Et
ouvrir des pistes pour corriger ces derniers et les rendre plus justes
lorsqu’il y a des efforts à faire. Certaines dispositions dans
l’acquisition des droits apparaissent généreuses, mais s’avèrent en
réalité injustes. Par exemple dans le régime général, pour valider un
trimestre, il faut avoir travaillé l’équivalent de 200 heures de smic
sur l’année. Ce système de calcul permet à quelqu’un qui gagne bien sa
vie de valider très facilement quatre trimestres avec l’équivalent de
800 heures de smic. En revanche, des salariés à temps partiels
travaillant toute l’année n’arrivent à avoir leurs quatre trimestres en
raison de leur salaire trop faible.
D’autres catégories de population sont-elles désavantagées par ces règles d’acquisition et ces mécanismes de solidarité ?
Oui,
les carrières courtes par exemple. Il existe deux types de carrières
courtes, ceux qui ont fait des études et ceux qui ont connu des
accidents de parcours, chômage, maladie. Or quand on prend des mesures
qui touchent les carrières courtes, tous sont impactés de la même
manière alors que ces salariés n’ont pas du tout la même carrière ni les
mêmes besoins. Sur la solidarité dont les avantages familiaux font
partie, le rapport montre que ces avantages bénéficient surtout aux
hommes et aux familles aisées et très peu aux femmes et aux familles
modestes. De même sur les carrières longues, on n’est pas allé jusqu’au
bout. Les salariés ayant commencé à travailler à 16 ans et partant en
retraite à 60 ans, grâce à la CFDT, cotisent tout de même pendant 44 ans
tandis que les autres retraités ont cotisé 42 ans ! Bref, le rapport
confirme ce que la CFDT dit depuis 2003, le système de retraite ne tient
pas compte suffisamment des parcours professionnels, des aléas des
carrières pour les femmes et les précaires, de la pénibilité, etc. Les
dispositifs de solidarité créés au lendemain de la guerre, même s’ils
ont été efficaces, le sont de moins en moins.
Est-ce que cela veut dire que la réforme de 2010 a été inutile ?
Toutes
les réformes ont eu des effets, y compris celle, particulièrement dure,
de 2010. L’escroquerie avec cette dernière, c’est qu’elle devait
permettre un retour à un équilibre financier en 2020 qui ne sera pas
atteint. L’autre problème, c’est la cible : pour l’essentiel, ceux à qui
on demande des efforts sont ceux qui ont déjà des carrières
compliquées.
Cette année, un grand rendez-vous retraite est prévu. Sur quoi portera-t-il et comment cela devrait-il se passer ?
Le
gouvernement devrait nommer un comité d’experts qui se saisira des deux
rapports et auditionnera tous les acteurs des systèmes de retraite. Il
devrait produire un rapport avec des préconisations. Ce document devrait
servir de référence au gouvernement pour engager, à partir du deuxième
trimestre, une concertation avec les partenaires sociaux en vue d’une
réforme systémique. Cette méthode nous va bien.
Qu’en attend la CFDT et quels sont ses principaux objectifs ?
Nous
souhaitons évidemment que le gouvernement entende les revendications de
la CFDT. On en a assez de ces mécanismes qui ne font que durcir les
conditions d’accès à la retraite. Nous ne sommes pas favorables à un
big-bang parce que c’est complexe et qu’une partie de la population a
construit sa carrière sur les modèles existants. Nous sommes persuadés
qu’un changement de système pour garantir le maintien de la répartition
doit s’imposer progressivement. La réforme systémique doit s’engager dès
maintenant. Les mesures sur les paramètres et les mesures qualitatives
destinées à corriger les insuffisances des dispositifs de solidarité
doivent être prises en parallèle.
La CFDT a-t-elle déjà des pistes sur ce qui devrait être corrigé ?
Oui.
Sur l’acquisition des droits, on peut envisager d’examiner trimestre
par trimestre le niveau de cotisation avec un nouveau système de calcul
qui serait plus juste pour les petits salaires. Concernant les avantages
familiaux, il est possible de les redéployer. On pourrait forfaitiser
les droits aujourd’hui affectés aux familles ayant trois enfants voire
les déclencher dès le premier enfant et même affecter une partie de ces
droits aux femmes pendant leur maternité. Les avantages familiaux
représentent environ 16 milliards sur un total de dépenses pour les
retraites de 270 milliards par an !
Quel est l’intérêt d’une réforme systémique ?
Elle
doit permettre à chacun de savoir quels droits sont acquis chaque fois
qu’il cotise. Quand il y a absence de cotisation pour des raisons de
chômage, de maladie, etc., il faut renforcer et clarifier les mécanismes
de compensation. Les salariés qui ont subi la précarité ne doivent
pas être pénalisés davantage au moment de la retraite. C’est notre
vision mais nous n’imaginons pas l’imposer aux autres, nous souhaitons
en discuter avec les autres et que chacun accepte l’ouverture de ce
chantier. L’illusion la plus terrible serait de se dire « il y a de
l’argent, il suffit de le mettre dans le système de retraite, ça va le
sauver. » Cela voudrait dire que ceux qui partent à la retraite
aujourd’hui sacrifient les jeunes générations en réduisant leur pouvoir
d’achat immédiatement et en diminuant leurs droits à la retraite plus
tard.
Qu’est-ce qu’une réforme systémique devrait changer pour les salariés et les retraités ?
Une
telle réforme devrait permettre de donner des garanties à toutes les
couches de la population sur la solidité du système par répartition :
aux retraités, qu’ils continueront de bénéficier du système dans
l’avenir ; aux générations proches de la retraite, de leur donner de la
visibilité sur l’avenir et cesser de leur faire craindre la prochaine
réforme ; aux jeunes générations, de les persuader que le système sera
solvable et qu’ils auront demain une retraite.
Propos recueillis par Didier Blain
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