"Nous avons un devoir de pédagogie. Le repli n'est pas une solution"

 
 
 
 
Le Monde daté du 11 avril, publie sous ce titre un long entretien avec François Chérèque. L'occasion pour le secrétaire général de la CFDT de rappeler que le devoir des partenaires sociaux est d'apporter des solutions concrètes aux attentes des salariés. 
 
La CFDT, comme tous les syndicats, est confrontée aux tentatives d'infiltration du FN. L'exclusion est-elle la meilleure solution pour régler le problème ?

On peut faire de la politique et être adhérent à la CFDT à condition de ne pas avoir de double mandat. Mais être militant ou candidat FN et adhérent CFDT, ce n'est pas possible. Pourquoi ? Parce que l'article 1er de nos statuts pose le principe de l'égalité d'accès aux droits. L'appartenance à un parti qui revendique la préférence nationale est donc incompatible avec l'appartenance à la CFDT. Imaginez un syndicaliste de la CFDT qui ne négocierait dans son entreprise que pour les salariés français... Nous ne pouvons pas l'accepter ! Il existe d'ailleurs une jurisprudence de la Cour de cassation qui nous donne raison.

Comment expliquez-vous la poussée du FN ?

On voit se développer dans le pays un sentiment de frustration, qui rejaillit sur le débat public, et sur lequel s'appuie le Front national. Les salariés voient que les mécanismes à l'origine de la crise économique se sont très vite remis en place, que la répartition des richesses est encore plus injuste qu'avant la récession et que la situation des plus modestes ne s'améliore pas, au contraire. Ce n'est pas très compliqué dans ces conditions d'exploiter leur frustration à des fins politiques inacceptables.
Au sommet social de janvier 2009, en pleine crise, j'avais demandé au président de la République de prendre un certain nombre de mesures, en particulier de supprimer le bouclier fiscal et de passer un pacte avec les plus fortunés pour qu'ils participent à la lutte contre les dégâts de la crise. Nicolas Sarkozy a refusé. Ce refus, il est en train de le payer. Les salariés savent que l'effort n'est pas partagé.

Que pouvez-vous faire, alors que le syndicalisme français est l'un des plus faibles d'Europe ?

On a beaucoup comparé la dernière récession à la crise de 1929, qui a été suivie par une montée des nationalismes. Nous assistons au même phénomène un peu partout en Europe. Nous avons un devoir de pédagogie. Au lieu d'aller sur le terrain de ce populisme, il nous faut répéter que le repli n'est pas une solution. Il faut donner des réponses aux problèmes économiques et sociaux.
Notre devoir de syndicalistes consiste aussi à apporter des résultats concrets aux salariés, qui voient bien que la crise n'est pas finie. Le chômage n'évolue pas. Les quelques signes positifs recensés relèvent plus du traitement social ou statistique que d'une vraie tendance à la baisse. Et l'augmentation des prix des matières premières et de l'essence nourrit de fortes craintes sur le pouvoir d'achat.

Concrètement, que faire ?

Personne n'aurait parié un kopek sur l'agenda social 2011. Pourtant, les trois derniers accords que la CFDT vient de signer apportent des réponses à l'inquiétude sociale. L'accord sur les retraites complémentaires permet de les financer jusqu'en 2018, il garantit le pouvoir d'achat des retraités jusqu'en 2016 alors que celui-ci baisse depuis quinze ans, et il améliore les droits familiaux pour 80 % des retraités ayant trois enfants ou plus. Il répond à une forte angoisse sur l'avenir.
De même, l'accord majoritaire sur l'assurance-chômage maintient la possibilité donnée à un demandeur d'emploi d'être indemnisé à partir de quatre mois d'activité. Ce droit à une indemnisation rapide n'existe nulle part ailleurs en Europe, et il bénéficie d'abord aux jeunes. Nous avons été les seuls à signer et à nous engager en 2009. Tant mieux si d'autres nous ont rejoints depuis.
La nouvelle convention Unedic permet aussi aux seniors, surreprésentés parmi les chômeurs de longue durée, de bénéficier d'une indemnisation d'une durée de trois ans. Elle améliore enfin le sort des travailleurs saisonniers et celui des personnes qui cumulent une pension d'invalidité avec l'allocation d'aide au retour à l'emploi. Or ces catégories sont celles qui sont le plus en difficulté actuellement.
Enfin, il y a l'accord fonction publique. Six syndicats sur huit l'ont signé. Il va permettre de titulariser 150 000 précaires. Ce n'est pas révolutionnaire, mais il me semble que les salariés veulent des réponses concrètes. Eh bien, en voilà ! Et si les politiques faisaient de même et s'occupaient un peu plus de social, cela irait mieux.

Voulez-vous dire qu'ils font trop de "com'" et ne sont pas assez sur le fond des dossiers ?
 
Je pense surtout qu'on ne répond pas à la frustration en rajoutant de l'angoisse et en divisant les Français, en se lançant dans un débat sur la laïcité et l'islam qui est une forme de détournement grossière.
De leur côté, les organisations syndicales ne peuvent pas se contenter d'un syndicalisme qui n'amène que de l'échec. La dénonciation, c'est une chose. Elle a été importante au moment du conflit des retraites. Mais il ne faut pas en rester là. Chacun doit prendre ses responsabilités. Je ne peux que me réjouir si d'autres syndicats nous rejoignent sur ces convictions.
Est-ce Bernard Thibault, votre alter ego de la CGT, que vous critiquez ?
 
Je ne vise personne en particulier. Je ne fais que tirer les enseignements du conflit de 2010 et de la situation sociale.
 
Dans quel état trouvez-vous le patronat ?

Il nous paraît assez divisé. Les grandes entreprises, à l'exception peut-être de celles de la métallurgie (UIMM), ne s'intéressent plus au dialogue social interprofessionnel. Elles signent des accords dans leur coin, elles ne jouent plus le rôle de moteur qui a longtemps été le leur, et le dialogue social se focalise sur les PME. Il faut le faire évoluer. Pour cela, l'idéal serait de mener à son terme la négociation sur les instances représentatives du personnel.
Le patronat ne peut pas camper sur le seul terrain de la gestion des institutions paritaires. Il doit aussi nous donner des preuves d'engagement sur le terrain social, sur l'emploi des jeunes comme sur le partage de la valeur ajoutée.

A l'appel de la Confédération européenne des syndicats (CES), vous manifestez, ce samedi 9 avril à Budapest (Hongrie), contre les politiques d'austérité. A quoi cela sert-il ? 

Les manifestations contre les politiques d'austérité sont importantes dans les pays où elles se déroulent. Aller manifester à Budapest pour une Europe sociale et pour une coordination des politiques économiques témoigne d'une forme de solidarité. Et cela revêt une signification particulière dans un pays où un parti nationaliste est au pouvoir.
Il me semble en outre que le projet franco-allemand de pacte de compétitivité s'est atténué depuis que les syndicats européens se sont mobilisés ensemble sur le sujet.

La CES tient son congrès en mai à Athènes. Quelle en est l'importance ? 

John Monks, ancien patron du Trades Union Congress britanniques et secrétaire général de la CES, va céder la place à une Française, Bernadette Ségol, qui est secrétaire générale de la fédération belge des métiers de services, UniEuropa. Ce secteur professionnel est celui qui se développe le plus en Europe. La présidence de la CES va aller à l'Espagnol Ignacio Toxo, des Commissions ouvrières. Ces changements peuvent apporter une forme de rééquilibrage en faveur du syndicalisme latin, plus sensible à la dimension sociale de la construction européenne.
Propos recueillis par Claire Guélaud



CSG et impôt sur le revenu : une fusion "risquée"

Que pensez-vous du projet du Parti socialiste pour 2012 ? C'est un travail sérieux, utile au débat démocratique et bienvenu, car il va nous faire sortir quelque temps des débats de personnes. Je suis intéressé par toutes ses mesures sociales, en particulier la priorité donnée à la jeunesse et le choix en matière d'enseignement (petite enfance et supérieur).
Je comprends le souci de redistribution fiscale des socialistes, même si je suis sceptique sur la fusion de la contribution sociale généralisée (CSG) et de l'impôt sur le revenu (IR). En revanche, il faut aller plus loin sur les mesures d'avenir et sur ce qui touche au développement durable.
Pourquoi êtes-vous réservé sur sa réforme fiscale ? Je ne suis pas réservé à ce sujet. Je pense au contraire qu'il est positif de répondre à l'injustice révélée dans le pays par l'affaire Bettencourt. Mais, sur la fusion CSG-IR, il y a deux risques importants : le premier est de voir les politiques au pouvoir, d'où qu'ils viennent, être tentés de puiser dans cette manne pour couvrir les besoins de l'Etat. Il faut donc flécher ce qui ira à la protection sociale L'autre risque est une progressivité trop forte du financement de la protection sociale, qui pousserait les classes moyennes supérieures à se tourner vers les assurances privées.
Le PS va rétablir le droit à partir à la retraite à 60 ans. N'est-ce pas ouvrir la boîte de Pandore ? Nous allons nous appuyer sur la remise à plat de 2013 pour défendre notre idée de réforme systémique. Toute majorité arrivant au pouvoir devra respecter ce rendez-vous. Il est possible de construire un système plus juste, qui règle la question des inégalités sociales d'espérance de vie et qui ouvre des possibilités nouvelles de choix et d'arbitrage.
La proposition du PS de renforcer la démocratie sociale vous satisfait-elle ? Les socialistes font, pour la première fois, de la démocratie sociale un complément de la démocratie politique. C'est une inflexion importante. Je suggère d'aller plus loin, en constitutionnalisant le rôle des partenaires sociaux, comme le fait l'Espagne.
Avez-vous été associé à la préparation du projet ? Pas le moins du monde, car ce n'est pas notre rôle. La CFDT répond présent à chaque fois qu'on lui demande de faire part de ses idées. Quant à moi, ma dernière rencontre avec la direction du PS remonte à avril 2010.
Propos recueillis par C. Gu.

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